Interview de Philippe de Matteis par le Nouvel économiste
La RFID entame une forte percée dans l’univers de la grande distribution. Les distributeurs expérimentent leur premier usage au niveau des points de vente et cherchent à générer des gains de productivité tout au long de leur processus d’approvisionnement. Pour autant, le développement de ce marché nécessite une coopération de tous les acteurs décisionnaires. Et un cadre réglementaire favorable.
Le marché de la RFID est en plein essor. Cette technologie qui consiste à identifier par radiofréquence les données conservées sur des puces électromagnétiques, encore appelées tags RFID, a conquis une grande variété de secteurs d’activités. Complexe, la segmentation du marché s’opère en fonction des modes de lecture (passif ou actif) et de l’intensité des fréquences radio. Ainsi on reconnaît l’usage des basses fréquences (125 kHz) pour l’identification physique, telle que le marquage du bétail.
Les hautes fréquences de 13,6 GHz sont des ondes utilisées par la radio FM. Enfin, les ultra-hautes fréquences (800-930 MHz), diffusées sur une bande UF, ont été l’objet du plus grand intérêt des chercheurs ces dernières années. Appréciée pour ses propriétés d’authentification et de traçabilité dans la gestion de stock, cette technologie a d’abord séduit les plateformes de logistique, les bibliothèques d’emprunt, les entreprises de blanchisserie et du contrôle d’accès. Ces industriels sont désormais coutumiers des usages de la RFID à haute fréquence (13 MHz). Mais les ultra-hautes fréquences ont depuis peu modifié le champ des possibles.
Les UHF élargissent le spectre
Les entreprises du commerce de détail et de la grande distribution, grâce la multiplication des applications UFH, se sont en effet laissé séduire par la RFID. Wal-Mart, Tesco, Carrefour, tour à tour, les distributeurs déploient ces applications RFID pour assurer le suivi de leur marchandise. Force est donc de constater que le niveau de maturité du marché n’est pas homogène. Si les applications ont atteint leur vitesse de croisière sur le segment industriel, celles exploitées dans l’univers de la grande distribution entament tout juste leur phase d’expérimentation.
C’est pourquoi les experts anticipent une forte progression du nombre de puces RFID en circulation au cours des dix prochaines années. Selon la dernière synthèse sur les perspectives de la RFID menée par le cabinet d’études Xerfi, le segment de marché consacré aux ultra-hautes fréquences devrait doubler pour atteindre 13 milliards de dollars, tous segments confondus, à l’horizon 2015. A la tête des secteurs les plus consommateurs de tags RFID, on trouve l’industrie du textile, plus précisément du prêt-à-porter avec 1,5 milliard de puces en circulation en 2010, selon les observations de l’offre. Quid du modèle économique ?
Aujourd’hui, les investissements du déploiement d’une technologie RFID comprennent les coûts matériels (tags, lecteurs et parfois logiciel d’interface avec l’ERP) ainsi que les services d’intégration. “Concernant les équipements, le prix de la puce RFID implantée sur des articles de grande consommation, selon les quantités, tourne autour de 10 centimes d’euro, le lecteur portable ou fixe entre 3 000 et 4 000 euros”, explique Philippe de Mattéis, consultant DMPH et président du FilRFID.
Mais la criticité d’une installation RFID repose sur l’intégration de l’équipement : aucune estimation type n’est avancée à ce sujet. “On a tendance à croire qu’il n’existe qu’une seule méthode d’intégration de la RFID. Or c’est faux, il faut raisonner au cas par cas, en mode projet : de la conception à l’intégration, jusqu’à la réception des travaux. Le coût informatique est très variable, notamment dans son interface avec le système d’information du client qui peut se chiffrer à des dizaines de milliers d’euros. Il n’y a pas de système “clé en main” ou “sur étagère”, il faut oublier cela”, détaille Philippe de Mattéis.
Heureusement, les gains économiques de ces solutions sont déjà connus. Selon les dernières observations sur les déploiements d’application RFID dans les entreprises de blanchisserie, le retour sur investissement de ces technologies est évalué à moins de 18 mois et elles permettent de générer une économie moyenne sur les coûts logistiques de l’ordre de 2 à 3 % du chiffre d’affaires.
Un déploiement en circuit fermé ou ouvert
Pour autant il convient de distinguer deux modèles de déploiement. Le premier, décliné sous forme de circuit fermé, est fondé sur la gestion d’actifs réutilisables. En effet, les tags RFID sont implantés sur des contenants tels que les bacs plastiques, les palettes, les chariots voire les conteneurs. Ce modèle est caractéristique de l’emploi des applications RFID dans les secteurs les plus matures, logistique, transports, contrôle d’accès et traçabilité des marchandises sensibles (produits pharmaceutiques).
Même si les tags sont facturés 400 euros l’unité, selon les données chiffrées de l’intégrateur Zetes, ils favorisent, grâce à la lecture simultanée, une collecte automatique des données conservées et ainsi limitent le risque d’erreur en saisie manuelle. Ces tags réduisent le temps alloué au chargement et au déchargement des contenus acheminés puisque les lecteurs utilisés sont en mesure de lire les tags à plus de six mètres de distance. Dernier atout, ils assurent une vérification des propriétés des marchandises transportées.
En octobre 2011, le groupe Auchan s’est équipé d’une application RFID, appelée Phénix, pour assurer la traçabilité des cagettes en plastique utilisées pour le transport des fruits et les légumes. Le distributeur contrôle ainsi la chaîne du froid de ses denrées alimentaires et le suivi de ces marchandises depuis les producteurs jusqu’aux supermarchés. En fin de circuit, les cagettes sont alors nettoyées dans un centre de lavage pour être à nouveau utilisées.
Le second modèle de déploiement, plus récent, fonctionne en circuit ouvert. Les tags RFID sont directement implantés sur les articles destinés au consommateur final et dans la majorité des cas détruits lors du passage en caisse, conformément à la loi informatique et liberté. Ainsi le géant américain de la distribution Wal-Mart a testé en juillet 2010 le déploiement d’une application RFID en implantant 600 millions de tags RFID sur les jeans et les sous-vêtements commercialisés dans ses enseignes.
Système relativement coûteux puisque le tag n’est a priori pas réutilisable, il fait encore l’objet de phase d’expérimentation. A l’instar de Wal-Mart, Décathlon a initié en 2008 un projet de déploiement de sa propre application visant à marquer tous ses articles de textiles et chaussures sur l’ensemble de son réseau de magasins. Accompagné par l’intégrateur Nedap, l’équipementier sportif devrait achever son déploiement à l’horizon 2013.
Le but de ce modèle en circuit ouvert ? Optimiser la chaîne opérationnelle depuis les boutiques vers les plateformes de logistique. En implantant les tags RFID directement sur les articles de grande consommation, la productivité est considérablement augmentée. “Par exemple, dans le secteur de la mode, la RFID permet de réaliser des inventaires quasi permanents et assurer un réassort au plus près des articles en rayon. Ce faisant, on observe des augmentations de chiffre d’affaires entre 5 % et 20 %, selon le niveau d’organisation initial. La RFID contribue ainsi d’une manière forte à l’augmentation des marges opérationnelles”, explique Philippe de Mattéis.
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Il aura tout de même fallu attendre près de six ans pour considérer les applications RFID en circuit ouvert comme économiquement viables. Deux progrès techniques sont d’ailleurs à l’origine de cette massification du marché. Le premier concerne la reconnaissance du code EPC par les autorités internationales, permettant ainsi à chaque produit tagué d’être considéré comme unique. Les informations conservées sur sa puce peuvent alors être consultées voire modifiées par l’ensemble des acteurs de la chaîne opérationnelle.
“L’année 2005 marque en effet l’aboutissement des travaux de normalisation de la RFID par l’International Standard Organisation et l’avènement de l’EPC, visant le déploiement d’un numéro de série unique d’identification pour chaque produit destiné à la vente”, explique Philippe de Mattéis.
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La traçabilité toujours en discussion
Autre problématique abordée avec l’avènement des applications à radiofréquence en circuit ouvert, la traçabilité. “En effet, les puces RFID ont une durée de vie très longue pour des usages relativement courts. D’où la volonté des distributeurs de militer auprès de leurs partenaires pour le déploiement de l’interopérabilité entre applications, afin que tous parlent le même langage informatique”, explique Jean-Michel Loubry, du Pôle national de traçabilité.
Mieux encore, ils veulent convaincre de la nécessité d’un placement du tag RFID le plus en amont dans la chaîne opérationnelle. Pour reprendre l’exemple de Wal-Mart, le distributeur américain s’était déjà fait remarquer en 2006 en imposant à tous ses fournisseurs le placement de puces sur les palettes transportant ses marchandises. Mais cette action n’a pu aboutir qu’avec le concours du gouvernement américain. A l’instar des applications de la RFID en boucle fermée, le commerce de détail et la grande distribution ne peuvent se passer de l’intervention des autorités réglementaires.
Dernier dispositif en date, le PIA, un référentiel élaboré par les acteurs de l’offre de solutions RFID. “Le PIA Framework est une réponse apportée à la recommandation émise par la Cnil européenne en janvier 2009 visant à encadrer l’impact sur la vie privée des individus des tags actifs”, explique Gwendal Legrand, chef de service expertise informatique au sein de la Cnil France. Alors que les tags sont systématiquement détruits en caisse, les acteurs de la grande distribution se sont penchés sur les intérêts de conserver la puce active au-delà de la sortie du magasin. Ils ont ainsi découvert l’utilité de la puce RFID pour accompagner le consommateur : modalités de services après-vente, mode d’emploi ou conditions de garantie peuvent être enregistrés sur le tag.
Il fallait donc évaluer les impacts potentiels de conservation active de ces tags sur la vie privée des individus. “Le PIA Framework a été développé suite à l’adoption, en mai 2009, de la recommandation de la Commission européenne sur les RFID. Il décrit une méthodologie pour évaluer l’impact sur la vie privée du système RFID envisagé et il permet de déterminer les mesures à mettre en œuvre pour protéger la vie privée (notamment la désactivation ou non du tag au passage en caisse)”, explique Gwendal Le Grand, chef du service de l’expertise informatique à la Cnil.
Un tag RFID dans chaque poche ?
Finalement quels sont les prochains débouchés prévus sur le marché de la RFID ? D’abord un approfondissement des applications RFID destinées au grand public est exécuté grâce au développement de la technologie RFID sans contact dite NFC. Si cette technologie n’est pour l’instant pas à classer dans le domaine des applications à ultra-haute fréquence, la gamme de fréquence utilisée est de 13 MHz, des travaux sur la convergence entre usages de la NFC et de la technologie UFH ont néanmoins débuté.
En attendant, les acteurs du commerce du détail, notamment des produits blancs et bruns, sont prêts à déployer des solutions afin d’améliorer le quotidien des consommateurs. “Embarquée sur le téléphone portable, la puce NFC/RFID fonctionne selon 3 trois modes. L’un d’eux, dénommé “émulation carte”, permet au mobile NFC de se comporter comme n’importe quelle carte électromagnétique RFID. Cette innovation permet ainsi d’agréger différents modes d’usage comme : la carte de transport, de contrôle d’accès ou la carte bancaire dont le Google Wallet, lancé récemment aux Etats-Unis, est la dernière illustration”, développe Philippe de Mattéis.
Autre possibilité, le flastag. Une application sans couture, l’affichage de l’information se déclenchant automatiquement sur le smartphone et contrairement au flash-code, sans besoin de télécharger une solution de lecture. Enfin la dernière innovation à venir, le développement d’application NFC permettra de communiquer entre les objets, appareils pour une liaison dite en peer to peer. Il sera alors possible de lancer un fichier musical hébergé sur la mémoire du téléphone vers sa chaîne hi-fi ou de récupérer sur son mobile une liste de courses enregistrée sur la porte du réfrigérateur.
Si pour le moment ce type d’application dite en streaming n’est pas disponible, les fabricants ne tarderont pas à pourvoir leurs terminaux mobiles en puce NFC. D’ici à la fin de l’année 2011, la majorité des smartphones commercialisés cet hiver en seraient équipés.
Article paru le 17 Novembre 2011 : Le Nouvel Economiste
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