Quelles villes ont pris la mesure de la puissance des opportunités et défis des intelligences de la ville ? Nous tentons ici une lecture critique et comparée de deux documents qui posent les bases de stratégie numérique urbaine ambitieuse – New York City City et Melbourne.
Le premier, rendu public au printemps 2011, a été commis sous la responsabilité de Rachel Sterne, Chief Digital Officer de la ville de New York. Intitulé « Road map for the digital city« , il a fait l’objet d’une importante communication et décline les actions pour que la Grande Pomme devienne « la première ville numérique du monde », selon les ambitions de son Maire, Michael Bloomberg. La ville assume pleinement cette dimension. C’est pragmatique, c’est efficace.
Le second est le fruit d’un travail de workshop conduit par l’architecte Dan Hill à Melbourne dans le cadre d’une série d’ateliers de travail sur le changement climatique (voir ici Mebourne Smart City). Malgré son ancienneté (18 mois, une éternité à l’aune du numérique !), ce rapport reste visionnaire. Il dépasse l’approche techno-centrée et entrevoit la transformation radicale des gouvernances et des expériences urbaines.
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New York City : un numérique mature
Élaborée à l’issu d’un travail de trois mois piloté par Rachel Sterne, la « feuille de route pour une ville numérique » commence par un état de l’art des services numériques proposés par la Ville de New York, ainsi qu’une analyse quantitative de la pratique qu’en ont les citadins.
Les résultats impressionnants attestent d’une maturité des équipements et des usages du numérique ; condition nécessaire mais non suffisante à des innovations dans l’écoute et le service du public. Au-delà des 66 millions de visites par an sur les 500 pages web du site nyc.gov, la municipalité fait feu de tous bois et dialogue avec les citadins via une multitude de canaux (blogs, twitter, skype, flashcodes…), sans oublier le percutant Open 311 (traité dans ce théma, ce service ouvre à tous les citadins l’ensemble des renseignements et des services municipaux). Citons aussi les flashcodes des permis de construire (accè aux informations sur la durée de l’opération, l’identité du constructeur, voire envoyer une réclamation aux services, ici).Cet arsenal numérique, aussi robuste soit-il, ne suffit pas aux citadins et entrepreneurs locaux ! Ils réclament encore plus de wifi public, des informations en temps réel sur les transports, un média social territorial centralisé et d’autres applications mobiles.
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New York, plateforme d’innovation ouverte ?
Une fois le diagnostic posé et les attentes des citadins exposées, le rapport de Rachel Sterne laisse la place au plan d’action. Deux objectifs prioritaires sont affichés. En termes de gouvernance : appliquer une stratégie de gouvernement ouvert. En termes de développement économique : mettre en place les conditions de l’innovation.
De New York à Chicago, en passant par Boston, les maire ont compris que l’enjeu est au-delà du technique. C’est pourquoi, ils se sont entourés de conseillers comme Rachel Sterne ou John Tolva, Chief technological officer de Chicago, en charge des questions stratégiques liées au numérique. Ce dernier résume les attentes pragmatiques des hommes politiques américains : « les villes doivent rester compétitives et s’adapter à la manière dont la valeur se créée au 21e siècle[1] ».
La traduction de ces promesses se conclut dans les faits par une approche technique à New York. L’action principale énoncée dans la « feuille de route » consiste dans le développement d’une plateforme d’Open Data, avec des standards ouverts et des taxonomies partagées au niveau local, national et international afin de favoriser autant que possible l’interopérabilité et l’efficacité. New York a donc déjà rendu publics plusieurs centaines de différents jeux de données pour permettre à d’autres – particuliers, entreprises – de compléter les applications développées par la Ville. Un concours d’applications 3.0 est en cours et les gagnants seront annoncés fin mars 2012. Il reste également quelque jours encore pour voter dans le concours d’applications mobiles pour les transports publics lancé par les autorités de transports de New York (MTA) grâce aux données rendues publiques.
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Principal auteur du document « Melbourne Smart City« , Dan Hill prend appui sur l’initiative éclairée de New York de proposer, la première, une feuille de route pour une ville intelligente. Le projet est d’autant plus louable que les résistances sont légions dans les pouvoirs publics. Pour autant, le consultant déplore la trop grande attention accordée aux outils du numérique dans ce document. Il va plus loin, arguant, de manière générale : « on devrait accorder plus d’attention aux questions de gouvernement 2.0 qu’aux questions de Web 2.0. Si on ne comprend pas cela, les services Web et mobiles ne feront rien d’autre que de glisser sur le vernis de gros et sérieux problèmes de la ville, sans vraiment les attaquer de front. »
A Melbourne, la question du numérique sert « d’alibi » pour approcher la question complexe de la ville durable, de sa gouvernance et de l’évolution des services urbains. Dès lors, les réflexions sont pensées en cohérence avec les autres stratégies de la ville (sur la mobilité, la santé ou le développement économique) et avec les cadres et formes urbaines. L’importance des technologies numérique tient à leur influence sur nos modes de travail, de communication, sur nos manières de nous divertir.
Afin d’illustrer ces propos, le workshop a donné lieu à la scénarisation de trois projets, liés 1) à la valorisation et préservation de la nature en ville, 2) à la promotion d’un réseau de mobilités « sans couture » favorisant les maîtrises d’usage et 3) à la visualisation et au partage de la donnée urbaine. L’ambition de ce dernier n’est rien moins que d’accompagner l’émergence de dialogues urbains et de renforcer l’implication active des citadins dans la fabrique d’une ville durable. -
Quand le numérique redistribue les cartes de l’espace public
« Espace public diminué, espace public augmenté ? » s’interrogeait l’architecte Pascal Amphoux dans un séminaire qu’il organisait début 2011 à l’école d’architecture de Nantes. La réponse du rapport new-yorkais est sans équivoque qui appelle les pouvoirs publics à porter la même attention à l’espace public physique et à l’espace public numérique, à chacun d’être également accueillant, soigné et appropriable. Les auteurs du dossier d’ailleurs établissent un parallèle entre les 35 millions de visites annuelles de Central Park et les 33 millions de visites sur le site nyc.gov, laissant ouverte les questions, des frontières de l’espace public numérique et de la gestion de l’information publique.
Last but not least, l’espace public est aussi celui du débat, de l’imaginaire, celui dans lequel se forgent les projets urbains et les représentations des villes et territoires. Selon Dan Hill, la « ville intelligente » offre des opportunités de dialogue renforcé entre les autorités de la Ville et les citadins. Dans le rapport de Melbourne, l’auteur insiste sur le fait que les citadins ne doivent pas seulement être considérés comme informés du fonctionnement de la Ville, ils sont encouragés à considérer la ville comme une entité collectivement transformable, puisque interactive et évolutive.
[1] Traduction libre. http://techpresident.com/short-post/chicago-cto-says-senior-municipal-staff-are-changing-way-cities-work
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